Il n’était pas anormal, le jour de la fête du travail, de se pencher sur la situation des Français au travail. Ainsi France Culture a invité le 1er mai, Frédéric Laloue, inspecteur général des affaires sociales (IGAS), co-auteur du rapport «  Pratiques managériales dans les entreprises et politiques sociales en France  » en les comparant avec d’autres pays, et Danièle Linhart, sociologue et directrice de recherche au CNRS. Le lien entre le management et la santé n’est plus à démontrer et Frédéric Laloue nous assure que l’IGAS prend la question au sérieux avec ce rapport et que les partenaires sociaux sont résolus à faire progresser les choses.

Car le constat général de l’étude n’est pas surprenant: la France demeure la mauvaise élève de l’Europe des pratiques managériales. 

D’abord, les critères pour définir un bon management sont assez convergents  :  un management participatif, qui donne de l’autonomie aux travailleurs et qui assure une reconnaissance du travail . 

Ensuite, les études de deux agences européennes sur les conditions de travail et sur la santé au travail révèlent que le classement de la France est défavorable par rapport à ses grands voisins. Ainsi seulement 56% des Français estiment que leur travail est reconnu à leur juste valeur contre 72% au Royaume Uni et 75% en Allemagne à salaire identique. La reconnaissance se manifeste par des attitudes managériales telles que le droit à l’erreur, l’encouragement des initiatives individuelles ou la promotion interne des salariés. Autre constat de ce que l’on sait depuis longtemps concernant l’origine de cette différence, des pays comme la Suède ou l’Allemagne et même l’Italie ont un dialogue social bien meilleur qu’en France. Dans ces pays, les pratiques managériales font l’objet d’un dialogue entre le patronat et les représentants des salariés ce qui est rarement le cas en France. Le dialogue social en France «  prend des formes moins coopératives que chez ses voisins.  » Le sociologue se pose aussi des questions sur la formation des managers et sur l’entretien de leurs compétences. La dimension humaine du management qui concerne les relations humaines, l’organisation du travail, la reconnaissance, la participation des travailleurs est beaucoup moins présente dans les grandes écoles d’ingénieurs et de commerce que l’apprentissage du marketing de la finance ou de la logistique….

Selon l’analyse du rapport, le pouvoir hiérarchique de l’employeur se traduit par des relations managériales qui laissent peu de place à l’initiative partagée, à l’écoute dans des collectifs de travail où l’on devrait pouvoir échanger sur la manière dont le travail est organisé.

La sociologue Danièle Linhart est plus catégorique : le management en France est essentiellement guidé par la volonté d’assurer une domination sur les salariés qui n’ont donc aucune confiance dans leurs patrons d’où la confrontation inévitable entre le management et les salariés. « Il y a une tradition de méfiance, de rapport de force qui caractérise la France et de ce fait plus de contraintes et de contrôles dans le management alors que les Français sont particulièrement attachés au travail et à l’identité sociale, à la dignité qu’il confère par rapport à d’autres pays . D’où une déception d’autant plus grande que l’attente était forte. » Autant d’importance accordée au travail augmente les risques de maladies psychosociales, de troubles anxieux généralisés, de suicides etc. Ainsi ce n’est pas un hasard si les personnes qui se suicident sont le plus souvent les plus investies dans leur travail . 

Le management a évolué vers une individualisation systématique de la gestion des salariés qui les met en concurrence et les conduit à une solitude au travail . « Le travail n’est plus une expérience socialisatrice mais devient une épreuve solitaire où chacun doit négocier son destin dans l’entreprise en concurrence avec d’autres »

Il paraît que les problèmes d’attractivité, les différences entre générations, l’arrivée du télétravail ont favorisé une prise de conscience de la nécessaire adaptation du management. Pourtant, d’un côté on a quitté Taylor en individualisant, en psychologisant la relation de chacun à son travail  avec le dépassement de soi, la gestion des émotions, le management des affects, et d’un autre côté l’organisation du travail elle-même qui met en œuvre des codifications, des procédures, des protocoles, des process…. relayés par les logiciels, qui s’imposent aux professionnels de terrain, «  taylorise  » les salariés en quelque sorte.

Pour nos deux experts les relations managériales ne pourront progresser qu’avec une participation réelle, exempte des modes managériales, que si les collectifs de travail dans les usines ou dans les administrations, dans les ateliers, dans les bureaux, puissent discuter les pratiques managériales pour se les approprier les éventuellement les changer. Danièle Linhart insiste, «  il faut privilégier la professionnalité plutôt que de jouer sur la dimension affective, émotionnelle des salariés.»

Tout cela suppose des managers qui soient conscients de leur rôle et qui soient formés.  Les directions des entreprises le voudront elles ?