« J’ai passé trois ans en école d’ingénieur sans trop me préoccuper de « l’après » : comme de nombreux élèves, je pensais bénéficier d’un avenir facile rien que par l’obtention d’un diplôme. En sortant, au début de l’été 2008, la crise m’a frappé de plein fouet. Après neuf mois de recherche, je me suis résigné à un poste en « boîte de presta ».

Avec la crise, de nombreuses entreprises ont limité ou gelé les embauches. Les projets en cours doivent cependant être menés à bien, et lorsque la charge de travail se fait trop importante, les entreprises font appel à des sous-traitants : les sociétés d’ingénierie « prestataires de service », ou « boîtes de presta ».

Une « boîte de presta », c’est :

– Des consultants : des ingénieurs frais émoulus effectuant des missions de quelques mois, la plupart du temps chez et sous les ordres du client. Lorsqu’une mission s’achève et en attendant la suivante, ils se retrouvent en « intercontrat », période pendant laquelle ils végètent au siège social de la « boîte de presta »

– Des commerciaux : ils cherchent des missions pour les consultants, et ils écument les « cévéthèques » en ligne (Apec, Monster…) pour faire passer des entretiens en masse à de jeunes diplômés, l’unique but étant de faire grossir leurs bases de données. Lorsqu’une affaire juteuse avec un client se présente, ils traquent les jeunes qu’ils ont pu ainsi « profiler » pour les recruter

– Des directeurs : ils s’occupent de l’équilibre financier de la boîte et des sibyllines négociations salariales destinées à tromper les jeunes diplômés, par des calculs volontairement complexes, jonglant avec brut, net, frais, primes, cotisations, imposition et fausses promesses.

Je me suis donc retrouvé prestataire, en mission loin de chez moi, avec un double loyer à payer et une vie de couple amputée, et sans visibilité à court terme. J’étais payé 80 euros net par jour, les trois quarts de ce que j’aurais reçu si j’avais été embauché directement chez le client. Mais ma boîte m’avait « vendu » au client 400 euros par jour.

Les contrats passés avec ces sociétés sont des CDI, mais leur fonctionnement général demeure semblable à celui d’une boîte d’intérim. L’ingénieur « presta » est :

– faiblement rémunéré : une partie de ce salaire est d’ailleurs payée sous forme de remboursement de frais, ce qui diminue d’autant les cotisations sociales du consultant et les charges de la « boîte de presta ».

– précaire : son contrat est assorti d’une période d’essai de quatre mois renouvelable, et systématiquement renouvelée, permettant à la « boîte de presta » de se séparer facilement des prestas dont la première mission n’excède pas huit mois ;

– considéré comme un « étranger » chez le client, où il ne peut accéder à aucune responsabilité;

– soumis à une clause de non-concurrence : si le client souhaite embaucher le consultant, la « boîte de presta » peut l’en empêcher,

– soumis à une clause de mobilité : les « boîte de presta » imposent une clause de mobilité sur toute la France, et lorsqu’elles désirent « alléger leurs charges fixes », elles proposent aux « prestas » des missions éloignées, le refus d’une telle mission entraînant un licenciement sans indemnités

– privé de soutien syndical, par l’absence de contacts entre des prestataires se trouvant tous chez des clients différents : en période de vaches maigres, cela permet de pousser à la démission certains consultants par le bluff, l’intimidation ou la menace, sans être inquiété.


« La naïveté des jeunes ingénieurs maternés en école »

En contrepartie, selon les dires des commerciaux, une « boîte de presta » offre tout de même quelques avantages :

– une expérience variée, par des missions nombreuses et pluridisciplinaires permettant de diversifier ses connaissances,
– une montée rapide en compétence par un choix de mission en adéquation avec le profil et les envies ;
– une entreprise à taille humaine, où chacun est considéré comme un collaborateur, et non comme un simple numéro,
– un salaire initial faible mais la promesse d’une forte marge de progression après quelques années de puissante montée en compétences, et de changement régulier de « boîte ».

Aujourd’hui, j’ai 25 ans, et je suis toujours ingénieur junior dans une « boîte de presta » comme il y en a des milliers. Il serait injuste de faire porter l’entière responsabilité de la situation aux « boîtes de presta » : c’est avant tout la naïveté des jeunes ingénieurs maternés en école qui permet de maintenir à flot cette dynamique d’écornifleur.

Ces étudiants devraient s’informer sur les pratiques en cours et assurer leurs arrières face à des commerciaux et directeurs de « boîtes de presta » rompus à toutes les fourberies salariales et morales. »