Sur France Culture, le 13 septembre, Jacky Lhoumeau, ex-DRH d’une entreprise multinationale française, présentait son livre : D comme DRH et Dépressif, aux Editions Tatamis. Voici quelques passages de son témoignage :

 » La financiarisation de l’économie dicte les politiques d’entreprise et la standardisation des modes de management fait la part belle aux systèmes, aux règles, aux procédures et minimise très largement la part de l’homme dans les organisations de travail. (…) La dégradation de la relation humaine que j’ai pu constater, le fait que les dirigeants ne soient plus capables de faire face aux décisions difficiles de l’entreprise, de parler clairement et franchement à leurs salariés, l’hypocrisie qui s’installe insidieusement comme mode de management de la vie de tous les jours, les passe-droits, le manque d’éthique, ont été des éléments qui m’ont profondément bouleversé, qui m’ont marqué dans mon esprit, et qui ont fait que ce monde ne me correspondait plus. »

Extraits de son livre :

« Je suis en arrêt de travail depuis de longs mois et ma vie professionnelle n’est plus qu’un souvenir.

Dépressif ! Je suis dépressif ! Moi qui me croyais fort comme un roc, inatteignable ! Comment ai-je pu en arriver là ?…

Je suis fier d’avoir décroché ce nouveau contrat de travail auprès d’une florissante entreprise du secteur de la santé, de la beauté et des bio-activités. J’obtiens de haute lutte le poste de Directeur de Ressources Humaines de l’établissement normand de ce groupe en fort développement. Une véritable consécration cette opportunité : la reconnaissance de ma valeur et de mes compétences. Je n’ai plus de doute et je visse maintenant ma vie sur des certitudes. Je suis bon puisqu’on me dit que je suis bon… Une situation sociale en vue, une rémunération confortable, une sécurité en terme d’emploi, des perspectives d’évolution, une large autonomie dans la conduite de mes missions, des moyens… Bref, tout ce à quoi j’aspirais à l’aube de mes trente-six ans. Quatre ans plus tard, je prenais la responsabilité des ressources humaines d’une usine de chimie pharmaceutique du groupe, promise à un développement soutenu grâce à un plan d’investissement majeur. En 2001, j’atteignis une forme de consécration avec la remise d’un prix national récompensant une démarche de recrutement et de formation originale, l’opération « Quadras », que j’avais imaginée et initiée avec succès dans mon usine. Je fus promu à Paris ; mais là, c’est une autre histoire qui allait commencer pour moi, un tournant et peut être le début d’une lente et inexorable descente vers ce qui allait sonner le glas de ma « carrière ».…

2002, « annus horribilis ! » Et pourtant, tout avait si bien commencé… Depuis aussi loin que je me souvienne, l’orgueil et l’ambition avaient été pour moi de puissants moteurs que je n’avais cessé d’alimenter en énergie et que j’entretenais avec grand soin ! Et gare à celles et ceux qui se seraient mis en travers de ce « chemin de lumière » que je me traçais. Réussir était le maître mot de mon leitmotiv ; réussir mes examens, réussir mon service militaire, réussir mon mariage – je parle ici de la cérémonie, ce qui est vu par les autres, et non de l’amour pour l’autre – réussir ma vie professionnelle, avoir une belle maison, un statut privilégié, un rang social, être reconnu et surtout, surtout, gagner de l’argent ! Ainsi mes parents, ma famille, seraient fiers de moi. Mes amis, mes voisins, mes collègues, m’envieraient. Je susciterais l’admiration et l’inévitable jalousie ! Ma carrière avait toujours été placée au-dessus de toute autre considération, mais depuis quelques années maintenant, je doutais. Je doutais du bien-fondé de mes choix et je commençais à exprimer des remords, des regrets, des manques, et à ressentir une sorte de vacuité comme si j’avais complètement oublié depuis toutes ces décennies, de remplir les tiroirs de mon cœur.

Je perdis le sommeil et mes nuits se peuplèrent de rêves étranges, de cauchemars et de chimères. Je sentais que malgré d’incessantes tentatives pour remonter la pente, je perdais pied professionnellement. Le regard de mes hiérarchiques se durcissait et l’angoisse envahissait désormais ma vie. Je faisais toujours le même songe : j’étais dans un tunnel de pierre, je courais et je n’en voyais jamais le bout, avec une question lancinante, comment m’en sortir ? Mon obstination à refuser d’admettre que ces environnements de travail ne me convenaient pas malgré les ponts d’or, la peur d’être professionnellement déchu, la mort de mon père, la détresse de ma mère, et dans une moindre mesure celle de mon frère, le poids des traditions familiales, la séparation d’avec ma femme, l’éloignement de ma fille unique, furent autant de blessures que la vie m’infligea. Mon « chemin de croix » allait continuer dans un monde nouveau qui paraissait être un jardin d’Eden mais qui allait se révéler une jungle dangereuse. Derrière des sourires de circonstances, j’allais découvrir une hypocrisie poussée à son paroxysme, la veulerie comme mode de management, l’absence d’amour propre, le manque de courage, la bassesse et l’étroitesse d’esprit.

Le directeur général de la Recherche avait la réputation d’être un homme tyrannique à l’ambition démesurée. Souvent, je m’interrogeais, comment de tels hommes, aussi éloignés des idéaux qui avaient sous-tendu les principes et les valeurs de notre belle « maison », avaient pu se tailler des carrières aussi exceptionnelles ? Les sentinelles n’avaient visiblement pas fait leur boulot ! »